...que la poésie que nous cherchons soit elle aussi corrodée par les devoirs de la main, mouillée par la sueur et envahie par la fumée, qu'elle sente l'urine et le lis éclaboussé par les différents métiers exercés dans et hors la loi. Une poésie impure comme un vêtement, comme un corps, montrant des taches d'aliments, avec des comportements blâmables, des rides, des observations, des rêves, des prophéties, des déclarations d'amour et de haine, des incongruités, des chocs, des idylles, des opinions politiques, des refus, des doutes, des affirmations, des impositions.La loi sacrée du madrigal et les décrets du toucher, de l'odorat, du goût, de la vue et de l'ouïe, la soif de justice, le désir sexuel, le bruit de l'océan, sans aucune exclusion délibérée, l'accès à la profondeur des choses dans un élan d'amour, et le produit poésie taché de colombe digitale, présentant des morsures, des traces de dents et de glace, rongé peut-être légèrement par la sueur et l'usage, pour atteindre finalement cette douce surface de l'instrument palpé sans repos, ce dur poli du bois que l'on manie, du fer orgueilleux. La fleur, le blé et l'eau offrent aussi cette consistance particulière, cette ressource d'un toucher splendide. Et n'oublions jamais la mélancolie ni le sentimentalisme archi-usé, fruit parfaitement impur d'une qualité merveilleuse et oubliée, abandonnés loin en chemin par la frénésie livresque: le clair de lune, le cygne au soir tombant, le "coeur de mon coeur" sont sans aucun doute l'expression d'une poésie élémentaire et inévitable. Fuyez le mauvais goût, et c'est la glace qui vous attend.
Pablo Neruda
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